"Qu’est-ce que l’amour ? Le besoin de sortir de soi.
L’homme est un animal adorateur. Adorer, c’est se sacrifier et se prostituer.
Aussi tout amour est-il prostitution.
L’être le plus prostitué, c’est l’être par excellence, c’est Dieu, puisqu’il est l’ami suprême pour chaque individu, puisqu’il est le réservoir commun, inépuisable de l’amour...
Dans l’amour, comme dans presque toutes les affaires humaines, l’entente cordiale est le résultat d’un malentendu. Ce malentendu, c’est le plaisir. L’homme crie : O mon ange ! La femme roucoule : Maman ! maman ! Et ces deux imbéciles sont persuadés qu’ils pensent de concert. — Le gouffre infranchissable, qui fait l’incommunicabilité, reste infranchi...
La jeune fille des éditeurs. La jeune fille des rédacteurs en chef. La jeune fille épouvantail, monstre, assassin de l’art.
La jeune fille, ce qu’elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope ; la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation.
Il y a dans la jeune fille toute l’abjection du voyou et du collégien...
Goût inamovible de la prostitution dans le cœur de l’homme, d’où naît son horreur de la solitude. — Il veut être deux. L’homme de génie veut être un, donc solitaire. La gloire, c’est rester un, et se prostituer d’une manière particulière.
C’est cette horreur de la solitude, le besoin d’oublier son moi dans la chair extérieure, que l’homme appelle noblement besoin d’aimer...
Plus l’homme cultive les arts, moins il bande.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l’esprit et la brute.
La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple.
Foutre, c’est aspirer à entrer dans un autre, et l’artiste ne sort jamais de lui-même.
J’ai oublié le nom de cette salope… Ah ! bah ! je le retrouverai au jugement dernier."
--- Mon coeur mis à nu : journal intime / Charles Baudelaire