— Hiroshima mon amour.
— Oui. Je n’ai rien compris.
J’éclatai de rire.
— Ne t’inquiète pas, beaucoup de francophones ont vécu ce phénomène. Raison de plus pour aller à Hiroshima, inventai-je.
— Tu veux dire que si on lit ce livre à Hiroshima, on le comprend ?
— Sûrement, promulguai-je.
— C’est idiot. Je n’ai pas besoin d’aller à Venise pour comprendre Mort à Venise, ni à Parme pour lire La Chartreuse de Parme...
Dès l’aéroport d’Hiroshima, j’eus une impression très spécifique : nous n’étions pas en 1989. Je ne savais plus en quelle année nous étions : certes, pas en 1945, mais cela ressemblait aux années cinquante ou soixante. Le choc atomique avait-il ralenti le cours du temps ? Les constructions modernes ne manquaient pas, les gens étaient habillés normalement, les véhicules ne différaient pas de ceux du Japon entier. C’était comme si, ici, les êtres vivaient plus fort qu’ailleurs. Habiter une ville dont le nom signifiait, pour la planète entière, la mort avait exalté en eux la fibre vivante ; il en résultait une impression d’optimisme qui recréait l’ambiance d’une époque où l’on croyait encore en l’avenir.
Ce constat m’atteignit au coeur. Je fus d’emblée bouleversée par cette ville à l’atmosphère déchirante de bonheur courageux.
--- Ni d’Eve ni d’Adam / Amélie Nothomb