"Il y a des choses, tout au long de ma vie, je me disais : « Je ferai ça quand je serai vieux « , des livres : « Je lirai ça quand je serai vieux. » C’est ainsi que je me suis constitué une liste de choses passionnantes à faire, une bibliothèque de livres à lire, de quoi occuper une bonne douzaine de vieillesses hyperactives dotées d’un appétit de lecture insatiable.
Un jour, ayant décidé d’effectuer je ne sais plus quel menu labeur de maçonnerie amusante et ayant décidé, à mon habitude, de me le garder au chaud pour « quand je serai vieux », mes yeux tombèrent, comme tombent les yeux – je signale que seuls les yeux français « tombent » sur les choses -, sur un miroir qui se trouvait là, bêtement pendu à un clou, comme souvent ils pendent.
Je dois ici, avant d’aller plus loin, signaler une par- particularité qui, je n’en doute pas, doit être l’expression d’un profond trouble psychique, mais je ne vois pas bien lequel. Voici : je ne me regarde jamais dans un miroir. Je n’aime pas ma gueule. Je ne la supporte pas. Je me rase en me forçant à ne regarder que le petit carré de peau strictement de la largeur délimitée par la lame.
Je me voudrais plus… moins… Je ne sais pas, en fait. Quand, par mégarde, mes yeux tombent – encore ! – sur un miroir qui ne devrait pas se trouver là ou sur -le reflet de ma déplaisante personne soudain apparu sur la vitre d’une devanture de boutique réfléchissant le soleil sous un angle insolite, un haut-le-coeur me fait sursauter, je blêmis et, vite, je regarde ailleurs. C’est ce qui m’arriva le jour dont je vous parle. Je me vis.
J’eus l’habituel haut-le-coeur suivi de l’habituel sursaut, je blêmis. Je blêmis deux fois. Une fois pour me conformer au symptôme psychique dont je vous parlais, une deuxième fois parce que venait de me frapper une évidence à laquelle je n’avais pas pris garde jusqu’à ce jour. Cette évidence, la voici. Deux-points, à la ligne : Ce type que j’avais vu dans la vitrine, ce reflet de moi, oui, C’ÉTAIT CELUI D’UN VIEILLARD."
--- Lune de miel / François Cavanna